Préambule
Ce texte va vous transporter au cœur d’une expédition de plus de deux semaines en très haute-montagne : l’Aconcagua (6960 m.), le sommet des Amériques.
Les principaux protagonistes sont :
- Rodrigo, le guide en chef.
- Paula, la guide en second.
- Six « clients » dont le genre a été unifié et les prénoms anonymisés et dont vous ne saurez rien de plus que ce qu’ils ont dit ou fait pendant l’expédition.
- Le septième « client », moi, Marc.
Ce verbatim a été écrit quotidiennement, quelles que soient les circonstances. François Remodeau, ami montagnard, m’a aidé à modifier des expressions et phrases.
L’expédition a débuté le dimanche 4 décembre 2022 par un briefing et une vérification du matériel de chacun et s’est terminée par le retour à Mendoza le 19 décembre 2022 vers minuit.
La carte interactive de l’Expédition Aconcagua :
J01 – Mendoza, debriefing et matériel, 760 m.
J’arrive trente minutes en retard et loupe de ce fait une dizaine de planches. Le patron de l’agence d’expédition « AMG Argentine », dans une tonalité « on est les meilleurs du monde » nous transmet les messages clés :
- Le plus important est de revenir à la maison ;
- Concentrez-vous sur l’objectif de chaque journée ;
- Boire est très important ;
- Vous êtes une équipe, portez attention aux autres, si quelqu’un se met à l’écart, ce n’est pas bon signe ;
- Soyez vigilants, le « zéro déchet » est l’affaire de tous et de chaque instant ;
- La gestion des bagages est assez complexe, SVP, respectez les consignes.
Des questions :
- Philip, sur les évacuations : un seul hélicoptère pour le massif (il y en a 17 à l’Everest) . La ville de Mendoza est très bien équipée en hôpitaux et l’équipe AMG connaît bien les médecins ;
- Pierre, sur le nombre de marcheurs : une centaine environ mais il n’y a pas de contraintes de goulets de passage ; c’est donc très fluide ;
- Bernard, sur les conditions du terrain : c’est devenu très rocailleux même en début de saison, les crampons ne devraient pas servir beaucoup ;
- moi, sur la météo : très peu de risques de pluie.
La liste du matériel donnée dans la documentation est vérifiée ligne par ligne : énoncé de l’item, vérification par Paula ou Rodrigo ; un choix est éventuellement fait entre plusieurs options. C’est fait avec beaucoup d’attention et de sérieux, ça me plaît bien, on devrait faire ça au CAF pour les sorties un peu engagées.
Sacha découvre que son duvet, qui indique -18° en « limit », sera bien trop juste (il va tenir moins de deux heures s’il fait -18°). Ça n’échappe pas à Rodrigo qui lui demande d’en louer un. Rodrigo me fait un clin d’œil, je renforce le message.
Alain étale toutes ses affaires en cercle, c’est assez graphique, Rodrigo lui indique qu’une partie du matériel, bien que tout neuf, ne convient pas. Le nombre de barres de céréales est énorme, les deux guides l’invitent à en laisser à l’hôtel.
Philip et moi avons bien préparé notre matériel ; il y a des choix à faire mais il ne nous manque rien.
Sacha, Alain, Bernard et Pierre vont au magasin de location, ouvert pour nous en ce dimanche soir.
Nous dormons tous à l’hôtel : deux personnes par chambre, la promiscuité commence.
J02 – Route vers la caserne de Puente del Incas, 2725 m.
Je n’ai pas très bien dormi, réveillé tôt je règle quelques petits problèmes domestiques français.
7h15 : je vais prendre ma douche et descends prendre le petit déjeuner. Il est pantagruélique, c’est le premier aussi copieux depuis le début de mon voyage il y a deux mois et demi.
Philip me rejoint et nous discutons de nos expériences de montagne, de mon voyage aussi.
John est arrivé dans la nuit, il nous rejoint. A peine est-il installé qu’il met en avant sa liste d’ascensions.
Le mini-bus est arrivé, c’est un peu long pour que tout le monde soit là. Nous rejoignons les bureaux d’AMG où le patron nous fait visiter les installations qui servent essentiellement à la logistique du matériel de montagne et au stockage de la nourriture. Nous prenons des photos et vidéos de notre groupe. Ambiance colonie de vacances bonne enfant. Nous prenons la route 7, qui mène vers le sud-ouest et se poursuit vers le Chili. Assez vite, des sommets enneigés apparaissent.
A une soixante de kilomètres, le minibus tombe en panne. Nous devons changer de bus ; le temps qu’il arrive, nous déjeunons dans un petit restaurant. Le repas est très copieux, notamment le plat principal et ses morceaux de viande.
Nous reprenons la route, le paysage change. Les vallées sont profondes avec des pentes minérales très verticales. Nous distinguons à peine la rivière au fond de la vallée. Nous passons au camp logistique d’AMG où vivent leurs fameuses mules. Chacun doit préparer son sac pour le trekking du lendemain. J’ai le sac le plus « light ».
Philip a un sac énorme, je crains qu’il galère demain.
Quelques kilomètres plus loin nous arrivons dans un camp militaire qui accueille les trekkeurs. Ça ressemble à l’idée que je me fais d’une caserne : spartiate, froide, propre, triste. Nous sommes repartis en deux chambres, je suis avec Philip et John. John semble intéressé par mon envie de douche, de quoi se mêle-t-il ?
La visite du petit village de Puente del Inca et en particulier du « Camino del Incas – Puente del Inca » est intéressante. Un pont minéral a été creusé par la rivière. Il s’agit bien d’un chemin Inca qui fait un léger détour par le Chili. Il est à noter que 40 000 kilomètres de chemins ont été construits par les Incas avant l’arrivée des Espagnols.
20h00, l’heure du dîner. Nous sommes tous les neuf autour d’une table ronde. Pierre a un beau T-Shirt Finisher marathon de San Francisco ; la conversation s’engage sur ce thème. Pierre n’a fait que celui de Sant Francisco, Bernard en a fait cinq dont un en moins de trois heures ; bravo ! Je n’en ai terminé que trois avec des temps bien différents.
La séance du briefing quotidien démarre, Rodrigo nous parle de l’étape du lendemain : 3h30 de marche. Départ à 10h.
J03 – Vers le camp Confluencia, 3368 m.
Très bonne nuit de sommeil. Le charmant sourire de Paula irradie la table. Les militaires nous servent un petit déjeuner très complet.
Alain n’arrive que vers 9 heures ce qui ne manque pas de nous inquiéter.
Dans la cour, je discute avec Philip de son job qu’il a évoqué pendant le petit-déjeuner ; il gère la logistique d’implantation de magasins, grands et petits, pour une entreprise suffisamment importante pour qu’elle soit cotée au Nasdaq.
Nous avons un temps d’attente ; nous discutons un long moment avec XSC de la colonisation et de ses désastres sur les peuples premiers, que ce soit en Amérique du Sud, en Amérique du Nord ou en Afrique.
Nous prenons le bus pour parcourir quatre kilomètres et remplissons les formalités d’entrée dans le parc de l’Aconcagua. Chacun doit signer un document. Le mini-bus nous dépose, le chemin s’offre à nous. Courte séance photo-vidéo de groupe avant de partir. Nous marchons sur le chemin de l’Aconcagua que nous voyons très distinctement. Je vibre de plaisir d’y être enfin.
Le chemin surplombe le torrent qui descend de l’Aconcagua. Il est rocailleux et monte en pente douce ; la steppe est rase, le vent apporte beaucoup de poussière, il fait chaud, entre 25 et 30 degrés.
La marche est lente, Bernard et moi constatons que les trois marathoniens sont devant.
Ce matin, Bernard m’a entendu parler de mon job et souhaite en savoir plus. Une conversation s’engage. Puis, je discute avec Paula en espagnol, ce n’est que le début de longues conversations. Nous voyons passer plusieurs groupes de mules qui redescendent des cageots, le plus souvent vides. Elles font le trajet tous les jours et en semi-autonomie.
Les pentes de la vallée sont très abruptes et très rocailleuses, on entend de temps en temps des roulements de pierre. Nous scrutons le ciel à la recherche de condors, en vain.
Après deux heures de marche, le vrai premier raidillon met en difficulté Philip, juste avant la pause déjeuner. Pendant la pause chacun se met dans son coin et mange le pique-nique préparé par les équipes de logistique.
Nous repartons pour 50 minutes de marche d’un pas lent. L’Aconcagua se pare d’une coiffe de nuages.
Nous arrivons au camp Confluencia (3368 m). C’est un petit village de tentes très coloré. Un petit encas avec des fruits est vite préparé et avalé. L’environnement est très minéral ; pas d’herbe pour les tentes. Rodrigo nous fait une démonstration du montage des tentes North Face dont nous aurons besoin tout au long de l’ascension.
Je ne ressens rien de particulier à 3400 mètres si ce n’est cette excitation d’y être. Mon pouls au repos est d’environ 15% supérieur à ce que j’ai d’habitude mais c’est bien difficile de savoir quels en sont les facteurs.
Je fais une petite visite près d’un mirador puis m’installe dans une tente montée avec Rodrigo où j’ai demandé à dormir ; ça me va bien de dormir tout seul car j’anticipe que la promiscuité sera éprouvante. Les six autres équipiers dormiront dans un lit sous une grande tente.
La douche (10$, je le découvre après) fait du bien avec cette poussière et la chaleur. Quelques membres de l’équipe semblent un peu fatigués.
Au dîner nous abordons le sujet « Trump » : unanimité et une conclusion de Philip « fucking ass ». Nous avons aussi parlé du Kilimandjaro ; en fait les six équipiers l’ont fait au moins une fois, je suis le seul à ne pas y être allé. La soupe de légumes est crémée ; les pâtes sont très bien préparées.
Briefing du soir : petit déjeuner à 7 heures, départ impératif à 8 heures pour le Mirador Francia. Un groupe de 19 trekkeurs y va aussi ; il fortement préférable que nous soyons largement devants.
En me couchant, je découvre que mon matelas fuit au niveau des bouchons ; j’entends le sifflement. J’essaierai de régler cela demain. Ce fut une journée facile.
J04 – A/R Plaza – Francia, 4060 m.
La nuit a été entrecoupée de quatre sorties-toilettes ; à boire six litres par jour, voilà ce qui arrive ! Le groupe se retrouve au petit déjeuner, copieux ; chacun est concentré sur le trek du jour.
8h00. Nous partons. Paula est devant ; c’est une journée d’acclimatation avec 805 mètres de dénivelé positif et un maximum à 4060 mètres. Je la suis, nous marchons lentement pour débuter, nous portons tous des doudounes car nous progressons à l’ombre. Dès la sortie du camp, nous longeons le torrent sur un chemin en surplomb ; le terrain est sablonneux ; puis des graviers, suivis de rocailles.
Une belle couleur verte se dégage de l’autre côté de la vallée, sur un plateau. Il semble que ce soit la résurgence d’une source. Nous profitons de cette verdure qui se fera très rare dans ces contrées. Après une trentaine de minutes nous ne progressons plus que dans la rocaille. Nous y resterons jusqu’au mirador Francia. Le chemin surplombe le torrent qui descend du glacier sud de l’Aconcagua.
Nous marchons très, très lentement mais après avoir fait des pauses vidéos, je réalise que pour rejoindre le groupe d’un pas rapide, je suis plus essoufflé que d’habitude. Nous sommes déjà à 3700 mètres, tout de même.
Nous arrivons près d’un petit lac asséché, la latérite est craquelée, les couleurs sont très pures.
Tout au long du chemin nous avons pas mal discuté avec Paula. Elle a terminé avec succès cinq années de formation de guide de haute-montagne. Nous parlons de notre intérêt pour la montagne ; nous nous rejoignons sur le triptyque beauté-majesté de la montagne, sensations tactiles-olfactives-sonores, et, le plus important, les relations humaines en lien avec la montagne.
C’est émouvant d’échanger ainsi au-delà des pays, cultures, frontières, histoire. Ça apporte bien sûr de l’eau à mon moulin sur le chapitre : « La terre est une petite planète ». Après une dernière pause, nous arrivons au Mirador Francia.
Dès l’arrivée, je suis stupéfait de la ressemblance avec le sanctuaire des Annapurnas au Népal. Même glacier dans le fond, beau cirque, falaise de presque 3000 mètres ici, 4000 mètres là-bas. J’en témoigne à l’équipe qui ne semble pas très intéressée. C’est une première alerte sur le peu d’intérêt de l’équipe pour tout ce qui ne touche pas directement le sommet de l’Aconcagua. Cela ne m’empêchera pas d’en parler à Dhan Gurung, le guide Népalais avec qui j’avais passé trois semaines de trek au Népal.
La falaise de la face sud est impressionnante, avec ses rochers apparents et ses pentes enneigées et glacées. Pour rappel, le soleil est au Nord dans l’hémisphère sud. En l’espace de 45 minutes, nous assistons à deux avalanches. Malheureusement le glacier du bas, constitué de beaux séracs grisés par les moraines, n’est plus connecté à la falaise de l’Aconcagua. C’est un glacier mort qui va rapidement disparaître.
Le retour est long ; l’instabilité des graviers met en difficulté Philip et Alain. Je suis assommé par la chaleur. Dès le retour au camp, nous avons rendez-vous avec le médecin pour un contrôle : sensations, fréquence cardiaque, tension et niveau de saturation en oxygène. Ma saturation n’est pas géniale mais pas inquiétante. Je dois éviter le sel, la charcuterie et boire beaucoup. L’eau d’ici est exclusivement d’origine glacière et la neige est très pauvre en minéraux. Il est nécessaire de lui adjoindre du thé, du café ou des boissons sucrées (un calvaire pour moi) chargées en minéraux.
Après échanges avec les uns et les autres, nous constatons que nous avons tous, plus ou moins, des petits soucis. L’un a vomi, un autre s’est enrhumé, un troisième a le même niveau (faible) de saturation que moi.
Le dîner est sympa mais aucun sujet ne s’engage vraiment.
Le débriefing nous annonce une grosse journée pour le lendemain : lever à 5h30, 1000 mètres d’ascension dont 100 mètres un peu techniques ; nous verrons bien ! Peut-être la première « bavante » ?
J05 – Vers le camp Plaza de Mulas, 4260 m.
Je me lève à 5H30 pour répartir les affaires entre le très gros sac et le sac du jour.
A 6 heures Paula (souriante, comme toujours le matin) vient pour que nous pliions la tente. D’abord enlever tous les cailloux, puis les arceaux. Original et très rapide : le pliage est remplacé par un bourrage dans le sac ce qui est super rapide et sans doute bien mieux pour la vie de la tente. A retenir.
Ce matin la discussion porte sur le pipi. Je m’explique. La consigne des guides et du docteur est de boire 5 litres par jour en plus de celui de l’eau des aliments. Bons élèves, nous en sommes en général à 6 litres. La conséquence directe est que nous nous levons de 3 à 6 fois par nuit pour aller aux toilettes ; et comme nous sommes en tente et qu’il y a des cailloux partout, c’est contraignant. Drôle de discussion n’est-ce pas ?
Voyons le bon côté des choses ; c’est une période de pleine lune et les montagnes sont superbes. A l’arrivée de la lumière les couleurs sont violettes puis orangées avec le soleil. En fait se lever toutes les deux heures est une belle opportunité pour profiter pleinement de la montagne.
La journée s’annonce longue (20 kilomètres), haute (1000m de dénivelé positif) et difficile sur la fin (à 4260 mètres d’altitude). Nous partons à 7h30. Nous empruntons le même chemin que la veille pour la mise en jambes puis nous nous élevons sur le bord du torrent opposé à celui de la veille. La marche est lente et régulière. Un beau plateau de verdure est visible en face de nous. Mayennais d’origine, j’aime tout ce qui peut ressembler à une prairie. Le chemin devient de plus en plus minéral.
Nous marchons lentement afin de trouver collectivement le rythme qui sera celui de l’ascension finale. Et puis, si vous avez le courage de lire la suite de ce texte, vous découvrirez que c’était une très bonne idée de le faire pour l’étape de ce jour.
Nous arrivons sur un long plateau large d’environ 200 mètres, encadré de chaque côté par d’immenses moraines. J’adore ce long cheminement. C’est l’occasion de pensées intérieures et de longs échanges avec Paula. Les pauses sont assez rares, c’est aussi le rythme que nous devrons avoir pour le sommet. Un passage délicat près du torrent où Alain se trempera largement un pied marque la fin du plateau.
Il fait de plus en plus chaud, ça devient très inconfortable. A la pause déjeuner, je trouve un tout petit espace frais à l’abri d’un rocher. Ouf, un peu de fraîcheur ! Avec Alain nous convenons de partager la tente.
Nous sommes sortis du plateau, nous prenons de la hauteur. Nous passons la barre des 4000 mètres d’altitude. Le groupe se fissure, les trois marathoniens et Sacha sont devant. Le raidillon est pierreux, la terre très sèche est instable. Même si nous marchons lentement, ça tire. Nous arrivons au camp « Plaza de Mules ».
A peine dix minutes de pause et les trois équipiers décident d’aller installer les tentes pour tout le monde. Très mauvaise idée, il fait une chaleur insupportable sur l’aire qui nous est réservée. Le montage des tentes est assez simple mais il faut du temps pour corder les filins aux pierres. J’attrape une insolation ! Pierre est dans le même cas. Un grand pichet d’eau sur la tête m’empêche de bouillir mais ce n’est pas cool du tout. J’aurais largement préféré une pause au frais.
Je manque de lucidité pour faire la part des choses entre fatigue, chaleur de la journée sur le plateau, insolation et altitude. J’essaie de me rafraîchir dans ce cagnard, je me repose sous la tente, j’ai des frissons… ça ne va pas fort.
Gentiment, Philip me prête un chapeau canadien qu’il n’utilise pas. Ce prêt transformé en cadeau me sera d’une très grande utilité pour la suite ; un grand merci à Philip. Ce n’est pas la « bavante » attendue, plutôt un grand coup de chaud.
Toute l’équipe se retrouve au dîner, c’est peu dire que nous n’avons pas bonne tête ! La soupe passe à peu près pour tout le monde. En revanche, mis à part Bernard, coutumier des Iron Man, nous ne mangeons quasiment rien du plat de poulet-frites.
Le Doliprane a fait un peu d’effet, mais entre frissons et maux de tête je « cogite » sur la suite de l’ascension. Même si l’étape a été très longue, je ne ressens pas de sensations de fatigue, les sensations sont nouvelles, bizarres et me perturbent.
J06 – Repos à Plaza des Mulas, 4260 m.
Hé oui ! J’ai dormi de 21 heures à 8 heures du matin. Bon, déduisons les cinq fois 10 à 15 minutes pour les raisons que vous savez…
Vous ne me croirez pas, mais je suis en pleine forme. J’ai super faim, un léger mal de tête résiduel, mais de la bonne humeur à revendre… Le petit-déjeuner est joyeux, nous sommes tous remis de la veille. Et nous avons une journée de repos devant nous.
Avec Sacha et Pierre, nous partons faire un petit trekking de deux heures pour visiter ce qui avait été un hôtel luxueux avant de sombrer en décrépitude. Nous enjambons quelques névés et montons un dôme arrondi fait de graviers. L’hôtel avait fière allure mais son accès de 30 kilomètres de la route à dû en rebuter plus d’un.
Il y a de la vie près d’une guérite toute proche ; je m’y rends. Ça tombe bien : ce sont les policiers en charge de la sécurisé du parc de l’Aconcagua. Je leur demande l’autorisation de faire le tour de l’hôtel. De fil en aiguille, nous parlons montagne, et ils en connaissent un rayon, puis football. Ils ont déduit de mon accent que j’étais français et m’invitent à venir regarder avec eux le match France-Angleterre qui aura lieu le lendemain. Pour des raisons professionnelles ils ont une super connexion. Ils se montrent très accueillants !
Le retour est très cool, les lumières de la matinée sont belles et donnent des couleurs très différenciées sur les différentes roches de ces montagnes grandioses. Les quelques petits raidillons nous rappellent que nous sommes à 4300 mètres d’altitude. Mon pouls le met explicitement en évidence.
La douche du midi est excellente et suivie d’un repas copieux : je mange une part et demie de tout, même du dessert… (si si !).
Petite sieste pour bon nombre puis match Argentine / Pays-bas avec les équipes d’intendance. Beaucoup de stress pour tout le monde, certains sortent pendant la séance des penaltys.
Longue discussion avec mon voisin de tente. C’est toujours surprenant de voir combien on peut échanger avec des « presque inconnus » que l’on ne reverra sans doute jamais. C’est peut-être parce qu’on ne reverra jamais, justement ; qui sait ?
Dîner où la vacuité l’emporte.
J07 – A/R au sommet Bonete, 5100 m.
Réveil à 6h30 : préparation du sac pour la journée. Le petit-déjeuner est assez silencieux. 8h00 : nous partons, et en passant, nous confirmons auprès des policiers l’accueil pour le match Angleterre / France à 16h00.
La montée du jour est raide, au milieu des moraines, les cailloux, graviers et sables sont instables et roulent dans des pentes raides. Aucune végétation, même pas quelques névés. Je suis honoré et ému que Rodrigo me demande de prendre la queue du groupe puisque Paula s’occupe de Alain. Je me positionne derrière Philip qui est le dernier afin de l’aider car il est un peu en difficulté.
La montée s’effectue en quatre étapes qui se ressemblent. La vue sur l’Aconcagua est impressionnante. Le camp Plazza des Mules est de plus en plus minuscule.
Dans l’indifférence générale sauf de Bernard, je m’arrête un moment à 4810 mètres d’altitude : c’est la hauteur du Mont-Blanc. Les conditions sont très différentes de ce que j’y ai connu lors de mon ascension. Ici, du rocher, des pas lents mais pas les demis voire les quarts de pas effectués sur l’arête sommitale du Mont-Blanc. J’aimerais bien revivre cette ascension au Mont-Blanc (avis aux amateurs). Le dernier passage est en pur rocher, assez délicat, avec un goulet qui nécessite de poser par endroits les mains. Je suis surpris du peu de compétences d’escalade de la majorité du groupe.
La vue du sommet de la BONETE, à 5020 mètres, est impressionnante. Vue à 360°. A l’est, c’est l’Aconcagua dont ne voyons pas le sommet puisqu’il se trouve presque 2000 mètres plus haut. Au sud c’est le plateau vu deux jours auparavant, à l’ouest le Chili et ses nombreuses chaînes montagneuses et au nord les crêtes que nous voyons depuis le camp. C’est exclusivement minéral, seuls quelques névés et glaciers apportent de la variété. Je suis surpris que la montée à plus de 5000 mètres soit si facile ; ma fréquence cardiaque confirme cette impression et Bernard fera le même constat. Ah ! si j’avais eu la bonne idée de m’en inquiéter à ce moment-là (lisez la suite…).
La descente est longue car je suis Philip qui est à la peine. Sur un passage de pierrier, je m’amuse à dévaler la pente et finis par tomber en me blesser à deux doigts. John s’y casse une phalange d’un petit doigt.
Je finis en trotinant dans la pente afin d’être à l’heure pour le match sans déranger l’assemblée. Bernard me rejoint : les deux Français sont les seuls pour qui j’avais sollicité l’accueil. Le salon se remplit, nous sommes bientôt une vingtaine, l’ambiance est très sympa, les Argentins ont gagné la veille et aimeraient bien une finale Argentine / France. Ils sont rassurés de la faible contribution de Mbappé qui les inquiète fortement. Avec Bernard nous rentrons juste pour le dîner dont le thème principal est : « la Terre est une petite planète ». Nos échanges géopolitiques sont « de comptoir » mais avec un russe, un Indien, un canadien, un habitant de New-Zélande, un allemand, un américain et moi, les points de vue sont riches et assez intéressants.
Je suis surpris d’être monté à 5100 mètres avec autant de facilité. Est-ce l’acclimatation, le rythme très lent, l’enthousiasme, … allez savoir. En tous cas, ce sont des sensations nouvelles.
J08 – A/R au camp 1 Canada, 5100 m.
Lever 8h30, la journée est annoncée dure et courte.
L’objectif du jour est un aller-retour au camp suivant – Canada – perché à 5100 mètres. A la fois pour s’acclimater mais aussi pour porter de l’eau et du matériel. Emilio, un troisième guide nous a rejoint, il est détaché auprès de Alain. La corvée des sacs et équipements recommence. Le sac doit inclure la majorité du matériel prévu pour l’ascension finale. Sa préparation, qui doit être faite avec soin, est vérifiée par Rodrigo.
Je suis en retard car j’ai perdu mes bâtons ! Rodrigo m’en trouve une paire qu’il me prête.
Le chemin parcourt une immense moraine, raide. On s’élève vite et la vue sur le glacier du pic Brésil est splendide. Nous voyons se dessiner le sommet Bonete que nous avions parcouru la veille. C’est facile, il ressemble à un chapeau pointu. D’ailleurs Bonete signifie « casquette » en Espagnol. Suivant la consigne des guides, nous marchons en un groupe compact, très lentement. A ce rythme-là, même si nous sommes entre 4300 et 5000 mètres c’est facile ; mais dès qu’il y a un passage technique on s’arrête et ça devient pénible d’attendre. Ma fréquence cardiaque est basse, vous ne me croiriez pas si je vous en donnais le nombre.
Je me fais tirer les oreilles par Paula car je m’arrête pour prendre des photos et vidéos. Je découvre une nouvelle manière de marcher dans des conditions très lentes et très pentues. Rodrigo m’apprend un mouvement de balancier des hanches qui poussent vers l’avant, en synchronisation avec le pas. Cela complète ma panoplie : la marche apprise auprès de canadiens au Népal pour gravir les nombreuses marches d’escaliers (appelées Bougresses par mes soins…) et la pratique assidue de la marche afghane.
Après trois heures ponctuées de pauses toutes les 40 à 50 minutes, nous arrivons au camp Canada, il est tout petit. Nous y déposons l’eau et l’équipement que nous avons préparés en vue du sommet. Toute l’équipe déjeune de sandwichs à l’intérieur d’une grande tente où il fait très chaud. Je préfère m’isoler pour admirer la vue sur le pic Brésil et son glacier. La vie en groupe me pèse. Emilio me rejoint, il connaît très bien Chantal B. de Salta dont il me dit le plus grand bien.
La descente est super rapide, nous dévalons la moraine de terre et graviers quatre à quatre derrière Rodrigo. Moins de trente minutes pour redescendre à fond la caisse tout ce que nous avions gravi, quel plaisir ! Rodrigo y perd une section d’un bâton de marche, c’est un problème pour lui. Bernard dira : « c’est l’opportunité de remplacer le matériel », moi « c’est embêtant Rodrigo, c’est ton outil de travail » et Rodrigo mécontent conclura par « c’est de l’argent perdu ».
Dernière visite médicale pour chacun ; le médecin parle français dans un échange improbable et très sympa. L’auscultation et les métriques sont OK, notamment le niveau de saturation qui a remonté.
Les policiers du parc sont de passage ; Bernard et moi leur offrons une bière pour les remercier de leur accueil lors du match.
Nous sommes dimanche, c’est le jour du traditionnel barbecue argentin. Il est succulent et très copieux, l’ambiance du groupe est chaleureuse.
J09 – Repos à Plaza des Mulas, 4260 m.
Nuit très agitée par des rafales de vent à environ 60 à 70 km / heure selon Rodrigo. La vérification des attaches de la tente par les pierres est nécessaire ; elle se fait à la lueur de la lune dans la froidure du vent.
Les trois guides se concentrent sur la logistique des prochains jours où nous serons en autonomie. Pour nous, c’est une journée complète de repos. Ce n’est pas trop mon truc ; alors j’en profite pour réaliser un mini-trekking solitaire qui me permet de visiter le glacier Brésil. Il illustre parfaitement la mort à petit feu des glaciers, progressivement remplacés par des moraines. Le gravier sombre capte la chaleur qui, petit à petit, fait fondre la glace. La rivière qui passe sous le glacier-moraine mesure plus de 200 mètres de long. Je passe un long moment à l’explorer et le photographier. C’est agréable de marcher seul, au gré de ses envies, dans un tel environnement.
Alain Pierre Sacha sont allés essayer leurs « double-boots ». Ça ressemble à des chaussures de ski avec un chausson et une coque. Les miennes essayées la veille m’ont provoqué une belle inflammation sur le tibia. J’ai mis de la gaze et un strap.
Le déjeuner est fait de tacos avec des morceaux de viande, du fromage et des légumes. C’est très bon.
La sieste à même le sol dans la tente de l’équipe est presque fraîche. La douche à 20 $ est remplacée par une douche à la casserole, l’eau est tiède ; c’est très agréable. La lessive est faite à la main ; avec ce soleil et le vent, elle sèche très vite. Le temps s’écoule calmement : charger les batteries, boire de l’eau, écrire, faire du yoga, lire, discuter. L’ascension finale est dans cinq jours, les prévisions météo sont auscultées de près ; une anxiété s’installe à propos de la vitesse du vent, des nuages, des capacités physiques des uns et des autres, des petites blessures et, surtout, du niveau de saturation pour Pierre et moi-même.
Le dîner est comme toujours excellent, à 4000 mètres sous une tente, c’est un exploit !
Le briefing est extrêmement sérieux. Rodrigo consulte sa liste de messages et recommandations à nous transmettre, Paula celle du matériel. Tout le monde prend des notes, nous devons être certains d’avoir tout le matériel nécessaire pour les cinq à six prochains jours et rien de plus pour éviter une charge excessive. Nous délirons gaiement sur le schéma de l’ascension dessiné sur le tableau blanc.
J10 – Vers le camp 1 Canada avec matériel, 5100 m.
La nuit a été difficile : pour rester correct, le besoin d’aller à la selle et d’y rester de longs moments fut pénible. Chaque fois, je suis revenu frigorifié des toilettes en plein vent. Le chemin semblait hérissé de pierres posées là par un ennemi féroce.
Alain s’est fatigué de mes allées et venues, il a décidé de changer de tente, « des fois que » ça lui ferait rater l’ascension finale. Le petit déjeuner est classique et assez silencieux, nous devons confier les tentes aux porteurs ce qui suppose de les avoir vidées. Après cinq nuits en haute altitude c’est pour tous un peu « en vrac ».
Au fil des discussions, je découvre avec regret, c’est un euphémisme, qu’une bonne moitié de mes équipiers est avant tout obnubilée par le sommet. La montagne et ses sensations, les gens qui y vivent leur importent peu. Cocher la case « Aconcagua » est la priorité de leurs priorités.
A midi, toute l’équipe d’intendance est là pour nous souhaiter bonne chance, C’est l’occasion de photos et de remerciements de Rodrigo. J’y vais de mon Espagnol pour tous les remercier de la qualité de leurs services.
L’élévation est la même qu’il y a deux jours : une immense moraine instable montée en zigzags. Le groupe est compact, l’ascension très lente. Les arrêts se font toutes les 45 minutes afin de boire, une véritable obsession, et de s’alimenter rapidement. Nous arrivons au camp. Le pique-nique est pris rapidement, en extérieur sous le vent. C’est déjà l’après-midi, nous nous installons sous les tentes ; toute l’eau disponible est réservée à la cuisine et la boisson ; la toilette est très sommaire.
Le repas est pris dans un décor somptueux à 5100 mètres d’altitude sous une belle lumière qui éclaire de nombreux pics à l’horizon. Les empanadas, une spécialité Argentine de chaussons fourrés, sont très bons.
Le coucher de soleil permet de découvrir encore davantage les chaînes de montagnes. Le vent s’est levé, il y fait frisquet.
J11 – Vers le camp-2 Nido des Condores, 5487 m.
La nuit a été bonne, les sorties dans la nuit sont plus simples lorsqu’on est seul dans la tente.
Énième portage avec sac à dos chargé au plus lourd : nous devons emporter le reste du gros matériel pour l’ascension finale. Paula me fait une démonstration de son savoir-faire pour remplir un sac sans que rien ne déborde afin de rendre la marche plus facile. Nous remontons la moraine déjà parcourue deux jours auparavant mais sur des sentiers différents. Alain est parti en avance avec son propre guide.
Avec Bernard, il nous semble que notre pas est plus rapide. Ou bien est-ce le sac, beaucoup plus lourd, qui nécessite un changement de rythme ? La lucidité nous manque.
Il fait de plus en plus froid et même si nous avons fait une pause pour rajouter des couches de vêtements, nous sommes tous gelés. Pour Rodrigo et moi, ce sont surtout nos mains. L’arrivée au camp Nido de Condores se fait par grand vent. Nous ne sommes pas trop de quatre pour installer ma tente (celle des autres a déjà été installée). Nous prenons la collation du midi et nous installons avec un vent froid et fort.
C’est bien sûr exclusivement minéral et bien sûr sans eau sauf celle apportée, réservée à la cuisine et la boisson. C’est très beau mais aussi très hostile.
A 16 heures c’est le match Maroc – France. Le poste de police du camp nous ouvre grand ses portes. Le chef est celui qui nous avait permis de regarder le match précédent à la TV. La cahute est toute petite, il n’y a que la radio Chilienne ; pas d’image cette fois. C’est assez incroyable qu’à 5500 mètres d’altitude nous écoutions ce match dans un poste de police, commenté par la radio chilienne acquise à la cause des Marocains, avec une majorité d’Argentins dans cet espace si restreint.
Lors des deux buts inscrits par les Français, il sera facile de comprendre que les Argentins auraient préféré jouer les Marocains en finale. Ils craignent les Français qui les ont éliminés quatre ans auparavant. Ils ont très peurs de Mbappé qui marque des buts avec une incroyable facité, dixit le commentateur principal. Pendant le match, les bourrasques ont été énormes avec de la neige et de la grêle.
Un bon dîner est préparé par les guides. L’ambiance est anxieuse, le froid du matin et les bourrasques de l’après-midi inquiètent toute l’équipe.
Chacun retourne dans sa tente en espérant trouver le sommeil malgré le niveau très élevé de décibels.
J12 – Repos au camp-2 Nidos des Condores, 5487 m.
Belle nuit mais très fraîche, les bouteilles d’eau sont totalement gelées. Je n’ai plus rien à boire. Les guides, très affairés, sont peu enclins à me donner de l’eau. Je suis obligé d’insister. Pour cette dernière journée de repos nous sommes à Nidos de Condores. Le petit déjeuner a été servi à 10 heures… ça fait une sacrée nuit !
Avec Bernard je pars faire une petite balade d’une heure sur le plateau. Nous parlons de sa vie en Nouvelle-Zélande, tant familiale que professionnelle ; il s’y sent bien. La manière dont il parle des Mauries – les peuples premiers – et de leur droits et positions me semble très positive est intéressante. Voilà une bonne raison de vivre la Saison 3 de mon tour du monde du Sud.
L’ultime visite médicale est bonne ; le pourcentage de saturation n’est pas top mais acceptable et j’ai encore deux jours d’acclimatation à venir. Les autres indicateurs sont bons voire très bons.
Après une petite sieste nous marchons tous ensemble vers un joli point de vue sur le plateau désertique, jonché de roches descendues de la montagne Aconcagua. A perte de vue s’étalent des montagnes purement minérales. Nous ne voyons aucune trace de vie, aucune route, habitation, usine…
Une halte permet d’organiser une « école de glace » ; la moitié de l’équipe n’a jamais chaussé de crampons. C’est surprenant. Je découvre une nouvelle technique de montée en glace : elle consiste à tenir les deux pieds presque perpendiculaires, l’un assure la direction et l’autre la stabilité en étant tourné vers la pente.
Une deuxième halte nous amène au creux d’un tout petit lac de dix mètres de diamètre. Sous trente centimètres de glace il y a de l’eau de glacier. Nous remplissons les jerricans et bouteilles.
Il est à noter que cette eau ne peut être consommée en l’état que pendant quelques jours. Elle est très pauvre en minéraux et doit être complétée pour une consommation sur la durée. Le premier médecin nous avait vivement conseillé de boire des boissons sucrées. Au retour, je mesure assez bien le niveau d’envie des équipiers de participer au portage d’eau ! La solidarité n’est pas une règle partagée.
Au menu du soir nous sont servies une soupe et de succulentes pâtes.
Le débriefing est tendu, non pas que l’étape soit difficile mais le grand jour approche et chacun s’interroge sur sa capacité à aller au sommet et en redescendre dans de bonnes conditions. Les visages sont fermés, inquiets. Rodrigo regarde avec insistance Alain quand il est question de l’heure-couperet afin d’arriver au sommet : 16 heures.
Ce soir le ciel est exceptionnel ; je me balade seul sur le plateau pour y prendre des vidéos et des photos.
Admirer la montagne à 5580 mètres voilà une bonne manière de se déstresser ! Et si je n’arrive pas à atteindre le sommet (6960 m), j’aurais au moins eu ce privilège.
De retour au camp je signale à Paula que le ciel est superbe. Elle sort et appelle ses collègues pour réaliser une série de photos avec eux ; les trois guides sont superbes.
J13 – Vers le camp-3 Colera, 6000 m.
Nuit froide, très froide. Le vent est incessant, il se glisse partout. Les sorties pipi sont glaçantes, j’ai fait le choix de ne pas me rhabiller à chaque fois mais là, ça pince dur.
Je prépare tout mon sac avant le petit déjeuner de 9h.
AMG est promoteur du « zéro déchet ». Permettez-moi de vous éclairer sur le mode opératoire : une petite tente a été montée au fond du jardin. Je rigole : une petite tente a été montée au milieu de cailloux coupants.
- Faire ses urines dans les graviers, ce n’est pas ça qui manque.
- Entrer dans la petite tente et déposer une feuille de papier journal épais.
- Viser le papier et déposer les selles. Prendre du papier hygiénique pour s’essuyer.
- Relever délicatement les quatre coins du papier journal et déposer le tout dans un sac plastique prévu à cet effet.
- Se nettoyer les mains avec du gel.
Le petit déjeuner est lugubre. Heureusement il y a de la musique argentine.
La trace est vraiment raide. Nous nous élevons rapidement au milieu des moraines, toujours et encore des moraines. Le groupe est hyper resserré. C’est la préparation au sommet pour le lendemain. Le vent souffle en rafales à 60-80 km/heure ; c’est usant.
Au bout d’une heure de marche nous rattrapons Alain qui était parti en avance. La discussion entre les guides est rapide : Alain doit redescendre. Il lui sera en effet impossible de monter à faible vitesse et d’arriver avant l’heure-limite au sommet car après 16 heures les chutes de pierres deviennent trop importantes.
Après deux heures de marche, je constate qu’un de mes doigts est en train de geler. Je remplace mes gants par des mitaines de plumes et prends dix minutes de pause pour réchauffer tous mes doigts.
Nous arrivons au camp Colera à 6000 mètres, pas très engageant ce nom de camp ! Le camp est encore plus spartiate que le précèdent. C’est le camp de base final avant l’ascension.
Du fait du départ de Alain, trois tentes ont été montées au lieu de quatre. Je laisse Pierre s’installer.
Lorsque je rejoins Pierre sous la tente, il ne répond pas à mon “ Tout va bien ? ” prononcé dans la langue de l’Oncle Sam. La première chose qu’il me répond est : “ il faut que je rentre à la maison maintenant ! ”. S’ensuit un dialogue kafkaïen et très haché. Je lui recommande fermement de parler rapidement à Rodrigo. Pierre ne bouge pas. Je passe de la recommandation à l’ordre. Pierre s’exécute. A son retour dans la tente, Pierre m’annonce : « Le guide ne dit rien ». Je sens que c’est grave, Pierre a les yeux dans le vide, son élocution tient plus de l’onomatopée que de phrases.
En fait, Rodrigo a tout organisé dans l’entrefaite. Ils débarquent à quatre sous la tente dans laquelle je dois rester car nous avons tous un devoir réciproque de veille. Une connexion avec le médecin du camp de base est établie ; une seconde aussi avec l’autre médecin qui est présent pour l’ascension. Une première injection est faite, un apport d’oxygène est mis en place. La situation est grave, la décision d’une redescente rapide est prise. Je me fais virer de la tente. Les affaires de Pierre sont rassemblées, sa descente au camp Canada situé plus bas est amorcée.
Je suis choqué par ce danger sournois qui rôde ici. Nous partagions avec Pierre un pourcentage de saturation bas. Paula et Rodrigo m’accordent d’entrer dans la chaude tente de la cuisine. L’ambiance chaleureuse qui y règne me réconforte et me permet de retrouver mes esprits. J’ai pris un coup au moral et à la confiance.
Le dîner est pris ; chacun dans sa tente. Rodrigo vient faire le débriefing dans chacune des trois tentes : lever à 3 heures, breakfast 3h30, départ à 5 heures. Nous évoluerons en un seul bloc compact.
Il est 19h50 ; c’est l’heure de dormir.
J14 – A/R vers le sommet 6960 m.
Bonne nuit, je me réveille à 3h, c’est la consigne du briefing de la veille.
Je ne me sens pas bien, les efforts pour s’harnacher ou faire quelques pas dehors me demandent plus d’efforts que d’habitude. Soit, nous sommes à 6000 m. mais quand même. Je m’en ouvre à Rodriogo qui s’en inquiète tout de suite. C’est notre 14 jours d’expédition et c’est le premier matin qu’il me voit ainsi pas bien et avec un enthousiasme en berne.
Il me donne rendez-vous dans ma tente dans 10 min. il sent bien que les délires de Pierre, mon partenaire de tente, ont laissé des traces.
Les relevés de fréquence cardiaque et de tension sont bons. En revanche, celui de la saturation en oxygène est carrément mauvais, si c’était confirmé, une évacuation urgente serait nécessaire.
Nous convenons d’un relevé dans 15 minutes et Rodrigo me demande de me de-stresser ce qui, vous vous en doutez, est illusoire.
Le deuxième test est meilleur, je suis juste à la limite, 55%, de ce qui est acceptable pour grimper. Mais nous y regardons à deux fois, il s’agit de 1000 m. de montée raide pour arriver à presque 7000 m. Rodrigo, avec quelques arguments complémentaires me demande de prendre une décision.
Après 10 minutes et des arguments complémentaires de Rodrigo, je lui pose une dernière question : « que se passe-t-il pour l’équipe si je flanche ? ». Hé bien c’est compliqué voire dangereux car Paula devrait me redescendre, peut-être organiser une évacuation d’urgence avec un autre guide – l’hélicoptère ne monte pas si haut – puis remonter pour assurer la sécurité du groupe.
Je renonce à monter ce jour ! C’est un crève-coeur mais, suite au test d’hypoxie à l’hôpital de Nantes, je savais bien que c’était un point faible, en tous cas sans bouteille d’oxygène ce qui ne se pratique pas à l’Aconcagua.
Philippe a aussi renoncé, cela fait 4 sur 7 à ne pas tenter le somment.
J’aide les équipiers à se préparer et fait la vidéo de départ à 5h, j’ai la mort dans l’âme.
Dans la matinée un guide et son client – M.P un des rares Français croisé – débarquent dans la tente cuisine. M.P qui a tenté l’ascension a 6 doigts gelés, ils sont tout noirs. Le guide l’installe, le réchauffe, lui donne une bouteille pour réchauffer ses mains et contacte le docteur du camp de base. M.P. est en train de s’endormir, je n’y connais pas grand-chose mais je sais qu’il doit activer le plus possible ses doigts. Je lui propose de lui « tenir le crachoir » pour qu’il ne s’endorme pas. Il est Grenoblois et féru de montagne, nous avons un sujet de conversation tout trouvé.
Avec Philippe, nous allons faire des photos-videos au point des 6000 m. C’est déjà pas si mal de passer du temps dans cet environnement aux sensations si exceptionnelles.
Samuel, le seul guide resté au camp nous sert un pique-nique, je sens bien que les chemins sont plus son truc que l’intendance. Pour le fun, nous refaisons avec lui un test de saturation, je suis à 71%. Aurais-je dû tenter le coup ? Il est possible voire probable que je le ressasse…
Nous attendons calmement le retour de nos équipiers.
Paula, Sacha et John arrivent à 19h précise, ce qui fait 14h. de marche entre 6000 et 6960 m. Un grand bravo à eux.
Ils nous parlent rapidement de leurs sensations. Bernard a été encordé pendant toute la descente et a reçu une injection. Il est exténué mais arrive décrire son ascension à la vidéo.
Le début de nuit est très froid et triste.
J15 – Vers Plaza des Mulas 4260 m.
Réveil à 8 heures puis départ à 9 heures. Dernière nuit à 6000 mètres, très froide avec des rafales incroyables qui se glissent sous la tente.
La descente est avalée avec grande facilité, la saturation en oxygène est remontée. J’adore ces descentes rapides dans les moraines. En attendant mes collègues, je prends des photos et vidéos, c’est superbe, les rochers ont des formes improbables.
Paula me laisse prendre de plus en plus d’avance. La finale de la coupe du monde a débuté. Très discipliné jusque-là, je fonce avec Bernard et John vers le camp en espérant voir le match. Paula me fait les gros yeux pour cette désertion peu conforme aux règles de la haute-montagne.
Le déjeuner est servi mais l’envie de partager le match avec les Argentins est plus grand. Le stress monte, beaucoup ne peuvent regarder les images… J’en viens à craindre leurs réactions si la France gagne. Ouf, la France perd et je les félicite un à un : une bonne trentaine de personnes…
Toute l’équipe de l’expédition est sous la tente pour la fin du déjeuner. Rodrigo passe nous informer que nous aurons un barbecue ce soir avec du vin ; une grande première.
Nous rangeons le grand sac pour le transport par mules du lendemain. Je prends une très bonne douche pour redevenir comme un sou neuf. Le dîner est très sympa, nous partageons le traditionnel barbecue avec un crémant local. Nous échangeons avec Paula et Rodrigo sur la fin de l’expédition mais aussi sur la très difficile redescente de Bernard du sommet, leur travail, les équipes…
Nous dormons à cinq dans la tente du dîner. Les Argentins font la fête.
J16 – Vers Entrada del parque (2800 m.) & Mendoza.
La nuit a été agitée. Pendant plus d’une heure j’ai été oppressé. Il m’était difficile de respirer. Je me suis levé pour admirer la voûte céleste ; ça allait beaucoup mieux après.
Alain et John ont décidé de prendre un hélicoptère pour éviter de parcourir les 27 kilomètres du retour. Moi, il aurait fallu me payer pour que je sois privé de ce plaisir !
Au revoir aux équipes d’intendance ; nous partons par un temps froid pour nos 27 kilomètres de marche. Il y a quatorze jours, nous avions suivi cet itinéraire dans le sens inverse. J’adore cet immense fond de vallée entouré de moraines abruptes. Nous y croisons beaucoup de mules de transport. Nous partageons un lieu de pique-nique avec d’autres groupes qui terminent aussi leur expédition. Je m’amuse à suivre Paula et Rodrigo ont laissé notre groupe loin derrière. Nous marchons à plus de 5 km/heure et avons plus de 30 minutes d’avance.
J’ai un échange avec un montagnard de Grenoble qui fait une pause au même endroit. Nous partageons les mêmes constats : touristes obnubilés par le sommet, intérêt limité pour la montagne, peu de technique de marche et bivouacs, peu de connaissances de la montagne et, pour certains, une considération toute relative envers les équipes locales.
La pause au camp Confluencia est la bienvenue ; des toasts colorés ont été préparés par le frère de Rodrigo.
La fin de la marche est pénible, Philip n’en peut plus. Rodrigo et moi avons une longue conversation sur l’organisation des groupes ouverts à tous et le problème récurrent de différence de niveau physique. Il me prodigue des conseils qui permettraient de faire l’ascension dans de biens meilleures conditions, mais ce sera pour une prochaine fois ! Nous parlons aussi de son futur voyage en Alaska.
Le bus du retour est confortable ; nous arrivons vers minuit dans le centre de Mendoza.