Interview de Pierrot Men, le photographe le plus connu de Madagascar

« Le Henri-Cartier Bresson Malgache »

L’itinéraire de mon voyage à Madagascar passait évidement par le labo-galerie photographique de Pierrot Men à Fianarantsoa.

En plus d’être le photographe le plus connu de Madagascar, il a beaucoup publié et exposé de par le monde et a reçu de nombreux prix. C’est peu dire qu’il m’avait tapé dans l’œil.

J’apprécie particulièrement son style de photographie « humaniste », son haut niveau de qualité et ses images proche et respectueuses des Malgaches.

C’est fébrile que j’ai passé la porte de la galerie. J’ai passé un long moment à lire les images exposées, à ouvrir les nombreux livres publiés et, pour la plupart, devenus rares car plus réédités. Et puis je me suis lancé, j’ai demandé à la dame présente, qui s’avère être son épouse, quand pourrais-je rencontrer Pierrot Men. Et deux minutes plus tard, Pierrot Men était devant moi. Très vite notre échange a été fluide. Nous sommes convenus d’une interview.

« Le Henri Cartier-Bresson Malgache » dixit Pierre Men.

Pendant que je mettais en place le matériel de prise de vue et d’enregistrement, Pierrot Men à lu les questions que j’avais préparées, a sélectionné quelques photos et a construit son récit. Une seule prise interrompue a suffi. Le propos a été clair, naturel, l’échange chaleureux. Des deux, j’ai été le plus ému. Pierrot Men a été à l’aise, simple et sa faculté de synthèse impressionnante.

Je vous laisse découvrir l’interview en vidéo :

Pour rappel, la vidéo est disponible en suivant ce lien : https://youtu.be/m9S8gC14kZk;
ou directement ici :

Pour en savoir plus sur Pierrot Men :

Site web : https://www.pierrotmen.com
Instagram : https://www.instagram.com/pierrotmen

Le texte intégral de l’entretien :

Marc :

Bonjour Monsieur Pierrot Men, le photographe le plus connu de Madagascar.

C’est ce que disent en tous cas les réseaux sociaux.

Vous êtes né à Madagascar, vous vivez ici depuis toujours.

Comment pourriez-vous décrire votre œuvre en quelques mots ?

Pierrot :

Je suis un grand passionné de la photo. J’étais peintre avant de devenir photographe. Tout a démarré dans les années 70 en fait et là, j’avais déjà un appareil photo, et je faisais des photos qui me servaient pour faire de la peinture à cette époque-là.

Donc je faisais déjà des photos depuis 1972, mais pour moi, je ne me considérais pas comme un photographe à cette époque, c’était juste un support technique qui me servait pour ma peinture. Et en fait, en réalité, ce que j’ai fait à ce jeu dans les années 1970 c’étaient les plus belles photos de ma vie. J’ai considéré ça comme si c’était l’œuvre finale de ma peinture. Alors j’ai été toujours fidèle à ma première passion. Et jusqu’à aujourd’hui, je photographie toujours la même chose. J’écoute toujours le même écho qui me guide dans mon cœur.

Marc :

Quels sont les photographes qui vous ont inspiré ? Notamment, je pense à un photographe dont j’ai vu une exposition à Tananarive qui est Jacques Faublée, qui était un ethnologue photographe, qui a fait des travaux extrêmement intéressants. Peut-être Henri Cartier Bresson parce que je vois certaines images qui s’inspirent, de mon point de vue, de lui. Peut-être Guy Le Querrec qui a aussi beaucoup photographié l’Afrique.

Pierrot :

Alors quand j’ai commencé la photographie, il n’y avait pas de magazine, à l’époque, où je pouvais voir les photographes, les travaux des autres et tout ça.

C’était bien plus tard que j’ai connu le travail de Henri Cartier-Bresson, par exemple.  Et là je me suis dit, tiens, mais il fonctionne un peu comme moi celui-là. Je me disais, mais ce sont les choses que j’aime photographier. C’est que ce sont ces petits instants qui font de grands trucs, de grandes photos.

Et à propos de Jacques Faublée, il y avait sa fille, je crois, qui m’avait écrit, c’était il y a 2 ou 3 ans et qui m’a montré les œuvres de Jacques Faublée. J’ai dit gentiment, hé bien écoutez, on a le musée de la photo maintenant, ce serait mieux que vous donniez ça au musée de la photo pour qu’il en fasse quelque chose. Mais. On m’a demandé d’écrire quelques lignes sur lui, sur Jacques Faublée, et c’est un photographe, évidemment, qui était bien avant moi, il y a bien longtemps, et j’ai trouvé son travail extraordinaire. Et j’ai eu du plaisir à écrire mon ressenti à propos de son travail. Qui est d’ailleurs publié au musée de la photo, dans le livre, dans le catalogue, qu’ils ont fait.

Marc :

Tout à fait, je suis passé voir cette exposition effectivement, qui est absolument fabuleuse.

Pierrot :

Et donc je reviens sur Henri Cartier-Bresson, quand j’ai revu après son travail.

Je me suis dit, parce qu’après y avait eu internet et tout ça, et là, je commençais à bien connaître le travail d’Henri Cartier Bresson et là je me suis dit, tient tient, c’est comme ça que je conçois la photo.

Ce sont ces instantanés purs.

Marc :

Vous avez fait en quelque sorte de l’Henri Cartier-Bresson sans le savoir.

Pierrot :

Oui le Henri-Cartier Bresson Malgache, (rires).

Et à côté de ça, il y a aussi d’autres photographes comme Bernard Descamps que j’aime beaucoup.

Salgado, par exemple, Sébastien Salgado. Et d’ailleurs, je suis très fier parce que … des gens, des photographes qui viennent voir mes images et tout ça, qui pensent à Salgado. Je me dit, tiens, tiens, j’ai fait quand même un petit bout de chemin avec ce monsieur.

Marc :

Une question extrêmement importante pour beaucoup de photographes, notamment en voyage. Comment vous travaillez avec les Malgaches pour faire les images que vous faites ?

Est-ce que vous les faites sur le vif, sur l’instant décisif que vous captez ? Est-ce que vous rejouez certaines scènes ? Est-ce que vous faites des compositions ?

Pierrot :

Alors après avoir pratiqué la photo pendant longtemps à Madagascar, j’ai compris quelque chose quand même. Ce que j’ai compris c’est que, quand on arrive dans un village, voir l’habitant et tout ça, quand on braque l’appareil, d’abord ils n’aiment pas trop qu’on les photographie très vite comme ça, parce qu’ils ont besoin de se préparer. Ils vont rentrer dans leur maison, mettre le plus bel habit et après poser. C’est ce que je comprends très bien.

Mais ce n’est pas mon style de photo ces choses-là, mais je le fais pour eux et après je fais des photos pour moi. Et là quand je montre mes images après, parce que je ramène toujours les images, une fois développées, et quand je leur donne la photo, là où ils posent, ils disent ha j’ai mis mon plus bel habit et tout ça, c’est bien, c’est une belle photo de famille. Mais quand je montre l’autre que moi je fais à leur insu, et là je vois vraiment un autre étonnement. Et là ils se disent, ah il voit autre chose, ce monsieur ! Et là après, quand je reviens dans le village, ils ne posent plus. Il me laisse faire, et je fais vraiment ce que j’ai envie de faire parce qu’ils voient que je cherche quelque chose pour bien présenter leur vie, leur culture.

Marc :

Avec toujours, dans toutes les photos, beaucoup de respect de l’individu. Il n’y a pas de photo de misère, pas de photo de gens dans des conditions difficiles, c’est vraiment un point, un point important, me semble-t-il, de votre œuvre.

Pierrot :

Je ne suis pas un journaliste, je suis un artiste et je montre ce qui est beau, mais dans ce que je fais de beau, je photographie, une certaine vérité ou quand même quelque part, quand on regarde bien la photo, il y a quand même un drame derrière.

Marc :

Quels conseils vous me donneriez ou vous donneriez à tous les voyageurs qui sont sensibles à la photographie pour aborder Madagascar et les Malgaches en particulier ?

Pierrot :

Le conseil que je donnerais, je comprends bien les voyageurs, les touristes qui arrivent c’est difficile pour eux de faire des photos vite fait comme ça.

Si c’est vraiment pour faire de la photo, je pense qu’il faut avoir le temps de s’arrêter, et de discuter avec les gens. Et c’est comme ça qu’on aborde bien les gens et faire des photos vraiment vraies quoi. Parce que de la voiture c’est vrai, on peut avoir des choses très bien de la voiture parce qu’ils sont très naturels et tout. Mais après, quand on arrive dans un village et qu’ils commencent à mitrailler, et là c’est un peu compliqué, c’est un peu insupportable. D’ailleurs, eux, ils semblent être contents au moment même de faire la prise de vue, mais quand ils sont chez eux, j’imagine qu’ils ont dit Oh mais ce sont des photos ratées qu’ils ont fait. Parce que c’est leur émotion qui leur a dit de faire la photo et de déclencher.

Moi ça m’arrive aussi ça quand je vais dans des pays, je déclenche, je déclenche, déclenche. Et après ? Mais non, je n’ai rien vu en fait. Donc il faut avoir le temps de s’arrêter, de discuter avec les gens.

Marc :

Est-ce que vous avez le sentiment d’avoir créé une sorte d’école de la photographie malgache ? Je sais que votre fils a repris le flambeau.

Pierrot :

En fait, j’ai été une école sans être une école. Ouais, parce qu’il y a beaucoup de jeunes qui viennent me voir, qui me demandent des conseils.

Et donc moi je ne cache rien, je dis tout ce qui vient dans ma tête pour comment j’ai fait cette photo, pourquoi je l’ai fait et tout ça.

Et moi je crois que c’est déjà une école. Mais ce n’est pas vraiment une école.

Marc :

C’est en tout cas une transmission de savoir et de pratique.

Marc :

Qu’est-ce qui vous rend le plus fier de votre œuvre, de l’ensemble de vos livres, de vos photographies ?

Pierrot :

Voilà, ce qui rend fière, c’est que j’estime, à travers mes images, avoir fait connaître mon pays dans le monde quoi.

Et souvent, je reçois des gens ici qui me disent : Pierrot, je suis venu à Madagascar parce que j’ai vu une photo de toi à Paris, ou à tel pays ou tel pays. Et ça, ça me fait vraiment une grande fierté.

Le drame est dans le hors-champ, 3 illustrations.

Photo 1 : Je me rappelle quand j’étais jeune, je voyais vraiment près de chez moi. Là-bas, tout était vert et beaucoup d’arbres et tout. Et aujourd’hui, on dirait que Madagascar est devenu nu.

Et cette photo pour moi exprime bien, « mais qu’est-ce qu’on va donner aux jeunes maintenant quand on n’a plus rien » ?

Même si elle se met au-dessus, fière sur la photo, mais pas d’avoir coupé l’arbre, voilà.

Photo 2 : Je viens du Sud-est et j’ai fait beaucoup de photos sur la pêche au bichique à Manajary, par exemple, ou à Manakara. Et ces gens-là, je les connais tous, ils me connaissent tous. Et je fais des photos de ces gens-là assez souvent quand je vais là-bas. Mais là par exemple, c’est une photo très belle et tout. Mais ce qu’il y a derrière cette photo qu’on ne sait pas, c’est que, il faisait très très froid et ils continuent à travailler pour pouvoir subvenir à leurs besoins de tous les jours. Hé donc ce sont des images très belles artistiquement, mais derrière, il y a toujours un drame, comme je disais toujours.

Photo 3 : Une photo comme ça, c’est une belle pelletée de sable que j’ai prise à Ilakaka. Ilakaka, c’est un nouvel endroit où on a découvert le saphir.

Hé, je suis allé là-bas pour faire des photos. Parce qu’il y a eu trop, beaucoup, de gens qui sont venus là-bas pour essayer d’être riche quoi, avec le saphir. Alors, j’ai pris cette photo-là, c’est une belle pelletée de sable. Mais en fait, derrière, il y a un grand trou d’une centaine de mètres, il y a des gens qui travaillent dur, dur, dur. Pour avoir ces fameux saphirs. Donc, pour moi, cette photo symbolise tout le travail qu’il y a derrière. Parce que moi je ne voudrais pas trop montrer ce travail très dur qu’ils ont. Moi je pense que cette photo suffit pour parler de la vie difficile qu’ont les mineurs qui sont derrière.

Pierrot / Marc :

Voilà, merci beaucoup. Merci

A très bientôt. Marc

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